Tranquillité estivale. | Croc-Blanc.

L’été, la forêt calmait quelque peu ses ardeurs printanières. Mais bien que la chaleur en engourdît certains, elle en réveillait d’autres : les moustiques, les abeilles, les cigales, pour ne parler que d’eux. Aulne avait aussi à sa charge les arbres eux-mêmes, et la forêt du Phare contenait maints arbres fruitiers pour le plaisir de ses habitants. Sa tournée hebdomadaire lui prenait la plupart de la journée; il l’effectuait en deux parties, très tôt le matin jusqu’à ce que la chaleur devienne désagréable, puis du coucher du soleil jusqu’à tard dans la nuit. Le reste du temps, il s’occupait le plus souvent d'Éclats confiés par le Phare sous sa forme humaine, mais il lui arrivait de vaquer à d’autres activités, telles que mais non limitées à la sieste dans un coin ombragé.

Aulne était à la recherche d’un endroit tranquille où il pourrait s’assoupir, un lit de feuille sur lequel s’étendre ou un enchevêtrement de racines dans lequel se nicher, lorsque la chaude brise du début d’après-midi apporta jusqu’à ses narines l’odeur forte et prononcée d’un prédateur de la forêt. Enfin, tout le monde était le prédateur de quelqu’un, à son niveau, mais les loups restaient toujours vers le haut de l’échelle. Aulne lui-même ne les craignait pas; s’attaquer au garde-champêtre représentait un risque trop important. Et si son nez ne le trompait pas, cette louve-ci se trouvait être Croc-Blanc; bien que d’une mélancolie sans limite, celle-ci faisait partie des habitants du Phare qu’Aulne appréciait, entre autre pour son calme et sa réserve. Elle était Veilleuse, mais elle était aussi habitante de la forêt, et donc Aulne considérait qu’elle faisait partie de ses charges.

Reprenant forme humaine et abandonnant ses projets de sieste, Aulne partit dans la direction indiquée par son odorat, espérant ne pas déranger la louve pendant son repas.

“Bonjour, Croc-Blanc,” dit-il dès qu’il fut certain de ne pas commettre d’impair. “Comment ça va, aujourd’hui ?”

Aulne Tes yeux s’ouvraient un peu pour se refermer presque immédiatement. Tes pattes avant s’étiraient et ta gueule s’ouvrait en grand laissant passer un long bâillement. Voilà que tu sortais de ton long repos avec une difficulté notable. Ce réveil était un peu forcé, par le soleil qui envahissait ton coin d’ombre. Vile astre qui empêchait une louve de faire une sieste après sa digestion. Ainsi, tu finis par te lever, bailler encore et te dégourdir les pattes.

Sans avoir eu à faire quelques pas, un garde champêtre arriva devant toi. Tu relevas ton regard vers lui, t’assis et le détailla. Tu le connaissais, certes et il usa de ton prénom presque immédiatement. Or, chaque fois que tu le croisais ton regard était irrémédiablement attiré vers ses cornes de cerf bien que tu ne savais la raison. Cette curiosité t’attirait toujours. Ainsi, après quelques réflexions à ce sujet, tu te décidas de répondre.

« Bonjour ! Je vais bien et toi ? »

Mais, de quelle voix humaine pouvais-tu répondre, Louve ? D’aucune. C’était juste.. A vrai dire, tu ne savais pas vraiment. Or, ta créatrice, ton éclat t’avait voulu ainsi, capable de communiquer avec les humains même sous ta forme de louve. D’un autre côté, tu détestais cette sensation. C’était anormal, presque contre nature. Avec Aulne, ça différait un peu. Lui était capable de comprendre les animaux donc, c’est comme si moins d’efforts t’était demandé et de ce fait, la sensation désagréable se réduisait grandement.

« Qu’est-ce qui t’amène dans la forêt ? Un enfant c’est perdu ? »

Encore, faillis-tu rajouter mais tu le gardas pour toi, par respect envers le cerf. Tu admirais sa patience envers ses enfants manquant souvent de discipline. Aller les secourir dans la forêt, dévouer leur vie à eux, ça devait être usant à certains moments. Tu connaissais une personne pour qui ça l’était devenu. Et, toi, dans ta bibliothèque, seule si l’envie s’en faisait ressentir, tu étais bien tranquille au moins !

La louve n’avait pas l’air bien réveillé. Elle mettait du temps à répondre et baillait de tout son long. Aulne ne pouvait pas lui en vouloir; il avait été lui-même à deux doigts de faire pareil.

“Ca va, merci. Tout va bien; calme plat. On ne peut rêver mieux,” répondit-il à la voix de la louve qui résonnait dans ses oreilles— ou dans sa tête, il ne savait pas trop.

La chaude brise estivale vint caresser son front et ses cheveux, et Aulne s’appuya contre un tronc d’arbre proche avec un petit soupir d’aise. L’ombre se faisait rare, et c’était bien dommage, mais autant profiter des températures si hautes, qui lui manqueraient l’hiver venu.

“Ah, non, pas du tout… En tout cas, je n’espère pas !” répondit-il avec un petit sourire. “Non, je faisais juste mes rondes habituelles. Comme je dois m’assurer du bien-être des animaux et des végétaux, tu sais.”

Il remonta davantage les manches de sa chemise, remerciant intérieurement le Phare de lui avoir donné une peau qui n’avait pas besoin de crème solaire.

“Et toi, que fais-tu ? Tu me sembles un peu endormie… Il fait si chaud…. Que dirais-tu d’aller se ré-hydrater un peu ?”