Histoire
Ton histoire n’est pas vraiment une grande histoire, ni même un histoire très intéressante. En fait, tu ne sais pas vraiment ce que tu as de spécial, tu sais simplement que c’est ce que tu étais dans ta maison et à ton école. Enfin, c’est les autres qui le disaient, quand ils parlaient de toi. Tu étais un enfant intelligent, curieux de tout, un petit gamin normal comme tout ! Des bonnes notes, des passions d’enfant, des grandes aventures pleins la tête qui amusaient tes amis quand tu étais plus petit. Vous traversiez de déserts gelés, des ruisseaux de lave, des forêts enchantées. Vous vous battiez contre d’immenses dragons, de féroces trolls et de cruels ogres des cavernes, et ta partie préférée, résolviez les mystères de ces formidables contrées. Quelles journées vous passiez, sous les yeux amusés de vos parents qui retrouvaient, en vous regardant, leur enfance passée, un sourire aux lèvres en retrouvant dans leurs vieux souvenirs ces mêmes endroits qu’eux aussi ont visité tant de fois !
Puis vous avez grandis, et les petits enfants que vous étiez ont commencé à changer. Fini les dragons, les trolls et les grandes aventures. Certains aimez encore en lire ou y jouer, mais peu à peu, beaucoup de tes amis se sont plus intéressés aux jeux vidéos, à la télé ou aux sujets de grands qu’à tes histoires pourtant incroyables. Mais toi, petit Efioz, jamais tu n’as cessé d’imaginer pour autant ! Tu avais toujours Yotte, dans un coin de ta tête et de ton coeur, courant derrière toi, à tes côtés pour surmonter tous les dangers ! Et ainsi, sous les regards de plus en plus moqueurs de tes camarades et inquiet de tes parents, tu continuais de créer, d’imaginer, utilisant brindilles, sols pavés et petits galets pour créer ton petit monde en toute liberté ! Ah, qu’est-ce que tu as pu créer de tes petites mains, avec de si simples objets et ton esprit fourmillant d’idées !
Malgré tout, malgré Yotte et ce monde merveilleux qui était le tien, malgré tes parents aimants et tes petits camarades de classe, plus que jamais, tu te sentais seul. En grandissant, tous ont commencé à oublier à quel point il était bon d’être un enfant de temps en temps, et lentement, étonnamment doucement, beaucoup finirent par te laisser de côté. Au début, certains t’écoutaient encore, d’une oreille distraite et gênée, ne sachant que répondre à tout ce que tu leur disais, leur racontais, leur demandais.
“Et la sorcière, elle porterait un chapeau pointu, tu penses, Maman ?”Même elle ne répondait plus, te rappelant simplement qu’il fallait que tu apprennes tes multiplications et que tu devais maintenant devenir un grand. Alors tu demandais à Papa “C’est quoi être grand ?”. Et il regardait simplement Maman, te répondant comme il le pouvait, avec des mots maladroits qui te disait qu’il fallait que tu laisse la sorcière loin dans ta tête pour avancer dans la vie des grands.
“C’est quoi être grand ?”Le temps passait, mais la réponse ne venait jamais. Alors tu décida qu’être grand, c’était faire ce que l’on aime, et tu continua d’inventer des histoires, de plus en plus grandes, de plus en plus fantastiques ! Des mondes, auxquels seul toi avait accès, enfermé dans ta chambre avec Yotte à tes côtés, te séparant du monde des autres. Tu pensais qu’en t’inventant plein d’amis là-bas, certains voudraient devenir amis avec eux aussi, et tu te sentirais alors moins seul, mais ça n’arriva malheureusement pas. Tes camarades ne refusaient jamais de te parler, les maîtresses ne te grondaient jamais et tes parents t’aimaient, mais personne ne voulait venir avec toi, dans ce monde pourtant si beau.
Alors, tu essayas de devenir grand. Tu laissas de côté ton petit monde, l’enfermant dans ta chambre, là où personne ne pouvait le casser, et tu t’intéressas aux mondes des autres. Tu avais toujours eu des amis, et ils furent content de te voir les écouter, les laisser te montrer ce qu’eux aimer, te voir curieux de comprendre comment leurs mondes fonctionnaient ! Cependant, ton monde à toi te manquait, tu ne pouvais jamais en parler, tu le laissais enfermé pour toi tout seul, et tu t’enfermais avec lui quand tu rentrais. Alors, la question te revint, de plus en plus souvent.
“C’est quoi être grand ?”Elle te faisait pleurer, parfois. Est-ce qu’être grand, c’est devoir détruire ce monde-là ? Est-ce qu’être grand, c’est le garder à jamais pour soi ? Est-ce qu’être grand, c’est ne plus vouloir que d’autres gens aient leur monde à eux aussi ?
C’était peut-être la réponse qui te vint ce soir-là, alors que tu pleurais dans ta chambre. C’était peut-être Yotte et tes amis de ce monde, qui t’ont emmené dans cette lumière blanche, pour te la donner.