Histoire
“Fenrir, j’ai envie de mourir.” Combien de fois depuis qu’elle avait pris forme, elle avait entendu son éclat prononcer cette phrase. Combien de fois avait elle gardé le silence devant sa mine décomposée par de sombres sentiments. Combien de fois encore avait elle tourné les talons, le laissant seul à ses sombres pensées. De toute façon il partirait un jour et il finirait par mourir. Alors que ce soit maintenant ou plus tard, s’il avait envie de se jeter du haut d’un pont ou encore de s’ouvrir les veines, elle ne l’en empêcherait pas. Si déjà si jeune, sa tête était pleine d’idées noires, il ne s’en sortirait jamais. Et s’il s’en sortait, le résultat ne serait pas beau à voir.
Les jours passaient et rien n’avançait. Fenrir voyait de plus en plus son éclat comme un simple boulet qu’elle se devait de traîner pour faire plaisir à Céleste. Être veilleur ? Ennuyeux. Les sentinelles ? Ennuyeux. Tous ces enfants ? Ennuyeux. Plus le temps passait et plus l’ennui s’installait, tel un serpent insidieux, un ennui tel qu’elle finit par le prendre comme une part de sa propre existence. Une existence qu’elle se devait maintenant de tromper, peu importe la manière. Plus rien ne lui faisait plaisir. Elle n’avait plus envie de rien, seulement d’être seul.
“Fenrir, j’ai envie de mourir…”Elle ne répondit pas, se contenta de s’asseoir sur ses genoux avant d’aller glisser ses doigts contre son cou, ses yeux rivés dans les siens. Elle resserra sa prise, doucement, en prenant son temps. Elle aurait simplement pu lui briser la nuque mais pourquoi être aussi expéditif quand on peut prendre son temps, oublier l’ennui un peu plus longtemps. Elle le fixait alors que naturellement il tentait de respirer, elle le fixait encore alors qu’il se rendait compte que ce soir vraiment, il allait mourir allongé là dans l’herbe, des mains de celle qui aurait dû veiller sur lui. Elle bougea à peine lorsque pris d’effroi il tenta de la dégager, remuant bras et jambes, tentant de la frapper, de la griffer pendant des secondes qui semblaient interminables, elle pouvait sentir son poul diminuer contre ses doigts. Jusqu’à ce que finalement, tout ne s’arrête et que l’ennui revienne la prendre.
“L’amour supporte mieux l’absence ou la mort, que le doute ou la trahison.”Le temps passait, l’ennui grandissait, toujours plus. L'inquiétude aussi. Des éclats qui semblaient avoir été assassinés par leurs propres veilleurs, mais jamais de trace des veilleurs en question, comme s’ils s’étaient évaporés. Fenrir connaissait la vérité, Raksha elle, était de plus en plus inquiète pour son éclat. Fenrir adorait ça, elle était inquiète sans savoir que chaque jour, elle laissait elle même un véritable monstre s’approcher de l’éclat sur lequel elle était censé veiller. Qu’est-ce qu’elle pouvait être pathétique, comme tous les autres.
Raksha est une louve comme Fenrir, après de simples rencontres, un lien se tissa inexorablement entre les deux femmes, sur ce lien se mirent à pousser des sentiments mais là où Raksha avait décidé de les embrasser, Fenrir avait décidé de les écraser. Cela ne l’empêcha pas pour autant d’en jouer, par intérêt ? Pas du tout, la raison invoquée était toujours la même passer le temps et pour ça, elle était prête à faire semblant d’aimer celle qui semblait être son contraire. Faire semblant, avant de la faire goûter à la déception, celle de s’être fait duper et celle de ne pas avoir pu sauver son éclat.
Étrangement l’amour de Raksha ne disparût pas, il se retrouva cependant teinté d’une haine féroce, une haine féroce envers ce sourire macabre, une haine féroce envers tout ce qu’elle était, une haine féroce envers sa propre naïveté, son manque de clairvoyance, sa propre défaillance en tant que veilleuse, elle n’avait rien vu venir avant qu’il ne soit déjà trop tard, avant qu’elle n’entende son nom parvenir à ses oreilles pour la toute dernière fois. Le temps qu’elle se retourne, il était déjà mort. Mais ce n’était pas la fin, car celle qu’elle avait fini par considérer comme sa moitié, la personne la plus importante dans sa vie lui apporta le coup de grâce en la laissant vivre avec sa fierté piétinée, ses son coeur déchiré et le goût amer de la trahison.
“On se reverra.” “Il n’est pas utile de voyager beaucoup pour trouver l’exil.”Une fois que tout fut divulgué, que l’on apprit que jamais des veilleurs n’eurent l’envie de supprimer leurs éclats avant de disparaître, mais qu’il s’agissait là de l’oeuvre macabre de la louve, une oeuvre qu’elle qualifiait de simple passe temps, la sentence fut irrévocable. Ce village n’était plus le sien. L’avait il seulement été ? Beaucoup vous répondront que non. Raksha dans son grand désespoir, malgré sa haine et quelques optimistes vous diront que si, Fenrir a un jour eu sa place ici. Fenrir vous répondra simplement que sa place est là où ses pieds sont posés.
Elle s’en alla sans faire d’histoire et n’emporta rien avec elle et se contenta de trouver dans la forêt un endroit où elle pourrait survivre convenablement tout en continuant à passer le temps. Construire une maison convenable lui prit quelques semaines tout au plus. Le temps d’avoir quatre murs et un toit relativement solide sur la tête ainsi que de quoi se préparer à manger quand bien même la manière reste des plus primaires. Une fois cela fait, elle pu reprendre son ennui… Ennui qu’elle comblera par les derniers instants d’autres éclats.
Pendant plusieurs semaines puis plusieurs mois, elle pris le temps de traquer ceux qui osaient s’aventurer trop loin dans la forêt ou encore ceux qui passaient par là pour se rendre au phare. Un jour comme un autre alors qu’elle tuait le temps dans le sang, portant le dernier coup au veilleur d’un éclat dont le corps gisait à quelque pas.elle aperçu une créature des plus curieuse qui ressemblait à un homme mais qui sans nul doute n’en était pas un. Elle le regarda simplement récupérer les mains de l’éclat sans chercher à comprendre. Chacun ses lubies après tout.
Mais voilà qu’il s’adresse à elle, elle n’a rien demandé, mais il lui donne toutes ces informations sur ceux qu’on appelle les “Bannis” ce ne sont pas des veilleurs comme elle mais d’autres entités qui ont plus ou moins été exclues. Il lui offrit également un quartier dans son château pour qu’elle puisse vivre convenablement. Est-ce qu’il la prenait pour une buse ou est-ce qu’il était sérieux ? Elle ne l’aurait pas su si elle ne l’avait pas suivi ce jour là.
Elle vit depuis dans ce fameux château, où elle parvient tant bien que mal à rester tranquille malgré la folie -furieuse- de ses hôtes. Mais cela ne l’empêche néanmoins pas de poursuivre ses activités sordides. Qui plus est, elle s’est trouvé une partenaire du nom de Titan qui ne manque pas et ce dès qu’elle le peut d’apporter une fraîcheur nouvelle aux exactions de la louve, qui n’avait encore jamais aussi bien réussi à faire passer son ennui. Et plus le temps passe… Moins elle a envie de s’arrêter.
“Jamais l’exil n’a corrigé les rois.” “La violence n’est pas le but, la violence est le moyen.”Le jour de la fête était arrivé et si Fenrir avait pour seul but de tuer le temps, elle savait déjà comment elle allait s’y prendre. Elle espérait qu’elle serait là, qu’elle viendrait. Sûrement elle viendrait, Raksha ne pourrait pas faire taire son trop grand instinct protecteur. Et le simple fait de pouvoir lui faire de nouveau goûter au désespoir suffisait à faire se dessiner un fin rictus sur les lèvres de la louve alors qu’elle se tenait avec les autres, cachée à l’intérieur du char dans lequel ils s'étaient installés après avoir pris la potion de la sorcière qui leur permet de supporter la lumière du phare. Ça faisait longtemps qu’elle n’avait pas revu le village. Si elle avait été capable de sentiments, elle se serait sûrement senti nostalgique, mais ce n’était pas le cas.
Lorsque le char s’ouvrit enfin, elle le quitta avec les autres pour commencer à répandre le chaos dans les rues en espérant que ça ne passerait pas trop vite à son goût et qu’elle puisse savourer chacun de ses gestes, chacun des actes de violence qu’elle allait perpétrer ce soir. Et à sa façon, elle s’en donna à cœur joie en allant trancher directement dans le vif du sujet et ce jusqu'à ce que la fête ne se termine en apothéose sous la lumière des Aurores.
A l’heure où nous parlons, elle continue de faire passer le temps. Cachez vos éclats, veilleurs ou le grand méchant loup viendra les dévorer…
“C’est une sorte d’ivresse, la violence.”