Entre les pattes de l'enfer [PHASE 3]

Les cris ne lui parvinrent pas dans un premier temps. Bien entendu, il avait senti le sol trembler sous ses pieds mais il avait décidé de l'ignorer, préférant continuer à danser, comme hypnotisé par les notes qui continuaient à s'échapper des instruments. Pourtant, la batterie s'arrêta de jouer, suivie de la guitare et finalement, l'orchestre devint silencieux, obligeant Sornette à se réveiller. Que se passait-il ? Pourquoi la compétition s'arrêtait-elle ? Il ouvrit les yeux... et n'eut nullement le temps d'évaluer la situation puisque quelqu'un l'attrapa par la taille et le mit sur son épaule. Il cria, se débattit. Que se passait-il ?

- Arrêtez ! Qu'est-ce qui vous prend ? Anya ! An... Anya ?!

Il n'était pas dans la meilleure position pour avoir une vue parfaite sur son ravisseur mais d'où il était, il ressemblait énormément à son amie, surtout avec son costume assorti au sien. Depuis quand avait-elle autant de force ? Sornette avait autant de mal à réfléchir qu'à respirer, ce qui ne facilitait pas les choses. Il n'arrivait pas à distinguer ce qu'il se passait autour de lui, d'où venaient les cris et les flammes, quels étaient ces bruits étranges qu'il entendait. Il se sentait impuissant et ne savait à quoi il devait faire face. Il hurla :

- LÂCHE-MOI ! Je sais marcher !!!

Il n'osait pas donner de coups à Anya, ça aurait été déplacé, mais il avait vraiment envie qu'il le laisse, qu'il puisse au moins être libre de ses mouvements... Et c'est là qu'il la vit. Une créature hideuse qui détruisait l'estrade sur lesquels les musiciens jouaient quelques instants plus tôt. Le monstre brisait les poutres d'un simple coup de poing, réduisait en charpie la batterie abandonnée et lançait les débris sur les danseurs qui n'avaient pas réussi à fuir à temps. Sornette devint livide en prenant conscience de la situation. Mais... le phare...

- Comment ? ...

Il tourna la tête et repéra par hasard, cachée sous un stand encore debout, une petite boule duveteuse recroquevillée sur elle-même. Il ne réfléchit même pas, se tordit plus violemment et finit par tomber de l'épaule d'Anya. Sa joie fut de courte durée puisque sa joue percuta le sol aussitôt après sa libération. Il se redressa maladroitement en manquant de trébucher une nouvelle fois mais parvint à rejoindre son fidèle sujet quelques mètres plus loin.

- Coton ! Tu n'as rien ?

Sornette ne savait pas quoi dire, comment réagir. À vrai dire, il ne savait plus comment réfléchir et se contentait de se laisser porter par son instinct en espérant que l'adrénaline continuerait à agir jusqu'à ce qu'il soit en sécurité. Il ne réfléchit pas lorsqu'il prit Coton dans ses bras et sauta sur le côté pour éviter qu'une caisse ne l'écrase alors que des dizaines de bulles en tout genre pleuvaient sur leur cachette de fortune. Une couverture obstrua sa vision avant qu'il ait pu voir d'où provenaient les projectiles, voulut s'en débarrasser avant de comprendre qu'elle agissait comme le plus réconfortant des boucliers. Tremblant sous la couverture, il attendait que le pire passe pour pouvoir courir, s'enfuir hors de portée du monstre qu'il devinait à quelques mètres d'eux. Les plaintes de Fabalga à côté de lui l'irritaient autant que les explosions et impacts des bulles. Hors de la couverture, l'enfer se déchaînait... et Anya devait l'affronter.

L'instinct de survie était une chose bien étrange. Mélangée à la peur, elle occultait tout ce qui n'impliquait pas la protection de sa propre personne. Et même s'il avait passé la soirée avec Anya, le prince l'avait oubliée pendant un bref instant en préférant se mettre à l'abri des projectiles. C'est seulement lorsqu'il fut dans une sécurité relative que l'absence de son amie lui parut comme une évidence. Il murmura son nom et osa jeter un œil au dehors, la voyant à quelques pas devant lui et Coton, debout face à l'ennemi.

- Mets-toi à l'abri !!!

La pauvre se prenait les bulles de plein fouet et se trouvait trempée jusqu'aux os, se tenait la tête entre les mains. Sornette se tourna vers Coton et, le souffle court, lui confia :

- Reste là, je vais aider An...

Un cri atroce retentit hors de la couverture et Sornette eut un mouvement de recul avant d'oser regarder dehors. Anya était toujours là, dans un état qu'il ne lui connaissait pas, qui lui brisait le cœur et l'inquiétait en même temps. Il n'osa pas bouger alors qu'elle poussait un nouveau gris et voyait sa morphologie changer, se transformer en quelque chose de... monstrueux. Il s'éloigna précipitamment en continuer d'observer la créature, serrant Coton si fort dans ses bras qu'elle devait étouffer. Puis la créature se tourna vers eux. Le prince se figea, tremblant et le souffle court, vit les dents acérées de la créature s'approcher d'eux et hurla de peur. Voilà comment son histoire allait finir ? Dévorée par Anya qu'une sentinelle démoniaque venait de transformer en chien de l'enfer ? Il attendit la douleur ou le néant mais aucun des deux ne vint. À la place de ça, il se sentit porter dans les airs puis déposé sur son dos. Pourquoi ça lui arrivait à lui ?... Monstre-Anya lui ordonna de s'accrocher et avant qu'il ait pu décider de la réaction à adopter, il se rendit compte que ses mains avaient trouvé toutes seules le chemin vers un amas de poils qui lui serviraient à ne pas tomber par dessus bord. Coton était assise devant lui et la tenait d'une main. Il sentit l'anticipation de la créature et eu à peine le temps de crier à Coton de s'accrocher avant qu'Anya ne fonce droit sur la créature.

- Non ! Pas par là !!!!

Mais impossible de raisonner Anya, il ne savait même pas si elle pouvait l'entendre. Ce qu'il savait, en revanche, c'était que ce n'était absolument pas une bonne idée de foncer sur un méchant pirate qui pouvait lancer des bulles dans tous les sens ! Il cherchait une solution à toutes vitesses et en trouva une provisoire quand son regard se posa sur les banderoles encore partiellement accrochées entre les bâtiments de la place. Sans vraiment savoir s'il existait d'autres options, il expira une partie de son âme qui flotta jusqu'aux banderoles, leur insufflant la vie et une volonté qui leur était propre, les laissant serpenter contre le vent sans comprendre ce qui leur arrivait. C'est alors qu'elles entendirent la voix de Sornette, la seule voix qui comptait vraiment pour elles et qui balayaient les cris de terreur des autres invités. "Entravez !" disait-il en pointant le banni du doit. Les banderoles comprirent en un instant et s'enroulèrent autour de leur cible, bloquant ses bras, enserrant ses jambes, paralysant ses gestes. Sornette continuait à animer les banderoles à portées de l'ennemi, celles qui avaient été arrachées et qui ondulaient vers les pieds du banni, celles qui étaient encore tendues et qui s'arrachaient à leurs points d'encrage pour aider leurs semblables. Le banni ne ciblait plus la créature qui lui fonçait dessus mais se débattait avec toutes ces ficelles qui l'empêchaient de se mouvoir, mais Anya fonçait toujours vers lui. À nouveau, Sornette hurla "éloignez-le !" et les banderoles le tirèrent hors de la trajectoire juste au moment où Anya aurait dû l'atteindre. Sornette était désespéré, hurlait à plein poumons :

- Anya arrête ! On doit partir !!! S'éloigner de...

Le prince releva la tête alors que des dizaines de personnes venues d'une rue adjacente s'engouffraient dans la place pour découvrir avec horreur que la situation était bien pire ici. Les premiers tentèrent de s'arrêter mais poussés par les suivants, se voyaient entraînés vers l'avant, vers les monstres...

- Anya, la rue à gauche, elle mène à la forêt ! On trouvera un remède mais il faut qu'on sorte de là !!! Mince !

Les bulles du banni avaient transformé Anya en monstre et arracher la tête du responsable n'arrangerait en rien la situation, mais allez dire ça à un immense chien de l'enfer ! Peut-être que les effets disparaîtraient après quelques heures ? Sornette refusait de croire que les effets soient permanents, il devait fatalement y avoir un moyen de redonner son apparence d'origine à Anya. Mais avant de réfléchir à ça, ils devaient rester à l'écart de la foule s'ils ne voulaient pas finir piétinés. Il ne pouvait rien faire de là haut et ne comptait pas foncer dans le tas sur le dos d'une créature folle de rage. Tant pis ! Il dit à Coton et Fabalga et s'accrocher à lui alors qu'il sentait à nouveau une partie de son âme voler vers une dernière banderole accrochée à une maison voisine. La corde vint se lier autour de son poignet alors qu'il se disait que c'était probablement la pire idée qu'il ait jamais eu mais vu la hauteur d'Anya actuellement, il ne voyait pas d'autre solution. Il empoigna Coton de son bras libre et ordonna à la corde "Maintenant !". D'un coup sec qui arracha pratiquement le bras du prince, la banderole les souleva dans les airs pour les approcher le plus possible de la ruelle concernée. Dans la tête de Sornette, il suffisait de s'en servir comme liane et se laisser balancer jusqu'à la ruelle visée. Ça aurait pu marcher s'il s'agissait d'une liane et si le poids de trois personnes n'avaient pas fait céder la banderole après seulement quelques secondes ! Il serra Coton contre lui et atterri sur le pavé de la place, à mi-chemin entre Anya et la ruelle... et face à la foule qui s'apprêtait à déferler sur eux. Il se releva en vitesse et sans savoir si Anya la suivait, se mit à courir vers la ruelle en espérant qu'il soit assez rapide.