En avant pour le premier stand ! - feat Aulne & Hyacinthe [PHASE 1]

Le village n'en est pas à sa première fête, elles ne sont pas si rares au village, et pourtant celle-ci est spéciale – celle-ci respire l'impromptu, l'inédit – celle-ci aspire à l'inouï. Ce n'est qu'un anniversaire diront certains, mais déjà la liesse a contaminé l'ensemble des Veilleurs et Sentinelles et la place du Puits est tout animée d'une heureuse effervescence au milieu de laquelle se glisse Hyacinthe ainsi que d'autres dans leur bain moussu de rose après une dure journée. Il n'a pas vraiment l'intention d'aider – et à rester dans le vrai, il songe qu'il n'y en aura pas beaucoup pour le remarquer parmi le charivari des tréteaux ou les bousculades amicales des carnavaliers. Rien de tel qu'une foule pour l'envelopper d'un tendre anonymat, ce que Pelisse ne lui reprochera guère, elle qui n'oserait pas fricoter avec la poussière des cabanons en train de se construire. Ils flottent tous deux sur la même longueur de fil, se faufilant de guirlandes en tentures puis de cagettes en photophores, esquivant là une rangée de drapeaux, ici un chariot rempli d'ampoules bariolées, contemplant l'effort des artisans et des Éclats euphoriques.

Ils auraient continué ainsi jusqu'à la nuit, orientés selon l'unique curiosité de l'instant et sans trop participer à l'enthousiasme collectif que l'anniversaire de Céleste suscitait à lui seul – ne s'en jugeant pas digne –, s'ils n'avaient été arrêtés par une grande rouquine à la cargaison visiblement imposante. Par réflexe, Hyacinthe regarda autour de lui pour s'assurer que ce hep toi le visait bien, après quoi il s'approcha en saluant la dame tandis que sa cape retenait un gloussement dont il comprenait sans mal la justification : la costauttitude, ce n'était pas franchement sa qualité principale.  
Néanmoins, et parce qu'il n'avait aucune raison de refuser, il s'empara d'une des caisses – par chance, moins lourde que ce qu'il avait supposé – avant de lâcher un :
« Où est-il... votre stand ? Qu'est-ce que vous y transportez ? »
Voilà qui ferait un bon sujet d'émission, s'il avait l'occasion d'approfondir la chose.

C’était l’effervescence au village, et Aulne ne savait pas quoi en penser.

D’un côté, l’anniversaire de Céleste, en voilà une bonne idée. Elle le méritait bien, et si ça faisait plaisir à tout le monde, tant mieux.

De l’autre, le bruit, la foule, les couleurs vives, le… désordre général… de l’événement le hérissaient. Car la nature avait un ordre, toujours, même si l’oeil humain ne pouvait le percevoir; et ces stands montés à la va-vite, sans concertation ni planification, ces chemins qui se faufilaient, se tortillaient entre les tentes, ces cris et ces mouvements perpétuels… Tout cela lui donnait fort mal à la tête. Il y avait trop à suivre, tout le temps, et il se sentait fort peu à sa place.

Mais il avait promis à Abygaëlle de l’aider pour son stand— bien avant qu’il n’ait réalisé l’ampleur des festivités— et il se devait de tenir parole.

Il cheminait donc les bras chargés de sacs, de paquets et d’une petite pile de bocaux précairement maintenue en place par son menton. Ses pas tracèrent une ligne presque parfaitement rectiligne dès le moment où il aperçut la rouquine.

“Abygaëlle, bonjour !” Dit-il avec un petit hochement de tête. “Ah… et bonjour à vous également… Je m’appelle Aulne, je suis le garde-chasse. Je suis désolé, je ne sais plus si nous nous sommes déjà rencontrés,” ajouta-t-il à l’intention de l’autre personne avec qui Abby discutait.

“J’ai apporté les ocres, les feuilles, le charbon, les baies, les écorces, et le reste, où puis-je déposer tout ça ?”

Cela a le goût, le parfum, la couleur du guet-apens, mais ce n'en est pas un, et quoi qu'il en soit, traquenard ou non, Hyacinthe ne trouve pas l'énergie de s'esquiver face à cette dame qui, elle, en a au moins pour deux. Voire pour trois, tels qu'ils se sont rassemblés avant de s'introduire eux-mêmes ; Abygaëlle l'éphémère tatoueuse, Aulne le noble garde-chasse et lui, Hyacinthe le larbin maladroit – c'est Pelisse qui la surnommé ainsi tandis qu'il suivait la rousse en manquant de trébucher sur les pavés de la place. Il les as écoutés, l'une puis l'autre, a retenu les informations avec une douce attention, étonné que l'on puisse s'excuser de ne pas le connaître, comme si ignorer son existence était un méfait alors qu'il n'en est rien. Fleurit alors en lui un éclat de gratitude, de même qu'un élan d'admiration pour ces deux êtres qui semblent parfaitement savoir ce qu'ils font, capables de penser à autant de choses à la fois pour le seul plaisir de rendre heureux les autres, et devant lesquels il s'incline d'un cran pour se présenter à son tour.
« Je m'appelle... Hyacinthe. Et elle – ajoute-t-il en haussant les épaules pour faire osciller sa cape en un mouvement pourtant peu explicite –, c'est Pelisse. Mais ne vous en faites pas... Je ne crois pas qu'on ait déjà eu l'occasion d'échanger. »
N'est-ce pas plutôt parce que tu n'es pas très remarquable, comme âme ? Il y a du vrai dans le commentaire, sans méchanceté aucune, de son Veilleur ; néanmoins, cela ne l'empêche pas de se tourner vers Aby et d'acquiescer ensuite à sa demande d'aide. Puisqu'il est sur place, autant rester ?

« Qu'est-ce que vous voudriez... comme décoration ? On pourrait suspendre des fleurs, et nouer des branches, pour rappeler la nature. Puis, une banderole en tissu, avec le nom du stand ? Ou une grande ardoise, sur laquelle on écrirait... ou dessinerait, des choses en rapport avec les tatouages ? Il faudrait des lumières, aussi, ça attire l'œil et c'est pratique, la nuit. Ou bien... »
Il s'interrompt, la gorge un soupçon étranglée par une tendre pression ; la manière pour Pelisse de lui signifier qu'il s'emballe, à défaut de posséder un gosier qu'elle puisse racler. Et lui de conclure par un « oh, pardon » dont on ne sait s'il s'adresse à lui-même, à son propre vêtement, ou à ses deux comparses qu'il a peut-être saoulés avec ses suggestions en vrac.

Aulne n’avait aucune envie d’aider qui que ce soit à décorer quoi que ce soit. Aulne voulait rentrer chez lui, au calme, et faire la sieste jusqu’à— pas jusqu’à ce que ça se passe, il serait de bon ton d’aller féliciter Céleste, mais au moins jusqu’à ce que ça se calme. Mais Aby avait besoin d’aide, et c’était plus fort que lui; Aulne était une Sentinelle, il ne pouvait rien refuser à un Feu Follet.

Il se retrouva donc à disposer les pots sur la table et sur les étagères de manière aussi pratique qu'esthétique, ce qui n’était pas mince affaire pour lui qui n’y connaissait pas grand chose dans les goûts humains. Mais il connaissait l’ordre des couleurs de l’arc-en-ciel, et cela devait aider, non ?

Et comme Hyacinthe semblait avoir plus de penchant artistique que lui, Aulne préférait le laisser offrir ses suggestions et se concentrer sur ce que lui pouvait faire— et il pouvait tout à fait mélanger des pigments entre eux sous la direction d’Abygaëlle, en tout cas bien mieux qu’il ne pouvait dessiner ou calligraphier une banderole. Aulne regrettait que le jeune homme se coupe lui-même dans ses propositions, mais il ne savait pas trop comment le lui dire… Quel mal y avait-il à être enthousiaste ? Ce n’était pas parce qu’Aulne aurait préféré être n’importe où ailleurs que les autres n’avaient pas le droit de s’amuser.

Maintenant, c'est évident, l'Aulne lui en veut ; il a dû s'agacer de ces phrases déversées avec une lenteur que d'aucuns jugent exaspérante, que ça n'aille pas assez vite peut-être, pour lui qui est déjà au travail à ranger intelligemment ses innombrables bocaux et accessoires. L'échine de Hyacinthe ploie un chouïa, par repenti, avant de se redresser d'autant lorsque Abygaëlle prend sa défense – contre qui, d'ailleurs ? À l'entendre si enthousiaste en retour, et plutôt que d'en être rassuré, le garçon doute davantage de la pertinence de ses idées : ne dit-elle pas cela par pure bonté, sans rien en penser vraiment ?
Tu n'as pas à te méfier, celle-là transpire la gentillesse et la sincérité...
Le froissement de Pelisse s'ourle d'un peu d'irritation, probablement à cause de la maladresse de son Feu follet, mais rien ne la rend plus fière que d'écouter ce dernier répliquer à la rouquine :
« D'accord. Merci de v-... ta confiance. » Le mot « amis » trébuche sur sa conscience, faute d'avoir un référent duquel le rapprocher, un souvenir analogue. Néanmoins, et puisque son Veilleur l'approuve, il n'y a pas de raison de ne pas croire la demoiselle ; est-ce que le grand cerf pense la même chose de son côté ? Est-ce qu'il est contrarié ? Les mains tendues vers les fleurs, Hyacinthe pioche des pivoines, des tournesols, des anémones et des gerberas, des brassées de feuilles qui lui tachent légèrement les mains en embaumant le printemps, tellement attirantes qu'il lui faut résister à l'envie de plonger son museau dans les corolles multicolores. À la place, il glisse une pâquerette dans un pli de Pelisse, qui l'absorbe dans un silence rougissant.
« Tu es le maître-d'œuvre, Aby', lance-t-il finalement tout en traquant un tabouret qui traînait le coin afin de grimper dessus si besoin, dis-moi où tu veux qu'on les mette. Et si tu as de la ficelle et des ciseaux, pour les attacher... »
Il ne s'y attendait pas, mais la perspective de cette amitié récréative commence déjà à l'amuser.